Impact écologique du comté : comprendre les enjeux environnementaux de ce fromage emblématique

La production de comté, premier fromage AOP de France avec 72 000 tonnes commercialisées en 2024, fait face à une crise environnementale majeure. Les déjections des vaches laitières du plateau du Jura, riches en azote et phosphore, polluent les cours d’eau, notamment la Loue, où la population piscicole a chuté de 70%.

Cette filière, qui a plus que doublé sa production en 30 ans passant de 30 000 à 72 000 tonnes, soulève désormais des questions cruciales sur la capacité des écosystèmes à supporter cette intensification. Un débat s’est installé entre associations environnementales, producteurs et politiques autour de cette filière employant 14 000 personnes, interrogeant plus largement notre modèle agricole et son impact sur la biodiversité.

Impact écologique du comté

La polémique du printemps 2025

Le 24 avril 2025, l’écologue Pierre Rigaux déclenche une onde de choc médiatique lors de son passage sur France Inter. « Le comté est sûrement un très bon fromage sur le plan gustatif, mais c’est devenu un mauvais produit sur le plan écologique« , déclare-t-il, pointant les dégâts causés aux sols et rivières par les déjections bovines.

Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, prend ses distances avec ces propos : « Nous aimons le comté et nous en mangeons« , tout en reconnaissant la nécessité d’un « cahier des charges renforcé » pour la filière. Le préfet du Jura et la ministre de l’Agriculture montent au créneau pour défendre ce patrimoine gastronomique, tandis que l’association SOS Loue et rivières comtoises rappelle l’urgence d’agir face à la dégradation des cours d’eau.

Comté Jura

Quel est l’impact écologique du comté ?

La pollution des rivières et des sols

Les études menées en 2024 par le laboratoire Chrono-environnement révèlent que 80% de l’azote et 50% des phosphores rejetés dans les cours d’eau franc-comtois proviennent de l’activité agricole liée au comté. Les sols karstiques très poreux du massif jurassien aggravent ce phénomène : les nitrates s’infiltrent rapidement et atteignent les nappes phréatiques.

Sur les plateaux du Doubs, les analyses montrent une concentration en nitrates trois fois supérieure aux normes européennes. Une situation qui menace l’approvisionnement en eau potable des agglomérations de Montbéliard et Belfort, où les stations de traitement peinent à éliminer ces polluants.

« Les rivières n’ont plus la capacité de s’auto-épurer », constate François Degiorgi, hydrobiologiste. La prolifération d’algues vertes et la disparition des invertébrés aquatiques témoignent d’un déséquilibre profond de l’écosystème.

L’empreinte carbone de la filière

Selon le dernier rapport du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, la production d’un kilogramme de comté génère 10,8 kg d’équivalent CO2, soit deux fois plus que le poulet et le porc. Cette empreinte s’explique notamment par les 10 litres de lait nécessaires à sa fabrication.

La filière comté a lancé en 2024 un programme d’évaluation carbone dans 47 fromageries de Franche-Comté. Les premiers résultats montrent que le maintien du lait à 12°C dans les fermes, spécificité du cahier des charges AOP, réduit la consommation énergétique par rapport au stockage classique à 4°C.

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« Le ramassage quotidien du lait et la faible densité des agriculteurs sur le territoire pénalisent notre bilan carbone », reconnaît le délégué du Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté. Un surcoût d’un à deux euros par kilo permettrait d’atteindre la neutralité carbone.

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Les conséquences sur la biodiversité locale

La perte de diversité floristique frappe 70% des prairies de la zone AOC Comté depuis 1990, selon le laboratoire Chrono-environnement. Les haies, essentielles aux oiseaux et aux insectes pollinisateurs, ont reculé de 40% en trois décennies.

L’intensification des pratiques d’élevage transforme radicalement les paysages jurassiens. Les affleurements rocheux, habitats naturels de la Gentiane jaune et de la Gesse de Bauhin, deux espèces menacées, sont systématiquement détruits pour maximiser les surfaces de pâturage.

Les botanistes du Conservatoire de Franche-Comté observent une uniformisation inquiétante : « les prairies traditionnelles, qui abritaient jusqu’à 40 espèces de plantes différentes au mètre carré, n’en comptent plus que 15 en moyenne« . Cette standardisation du paysage menace directement les papillons et les abeilles sauvages, dont les populations ont chuté de 35% depuis 2020.

Une production en forte croissance

L’évolution des volumes depuis 30 ans

La croissance régulière du marché du comté s’est accélérée au début des années 2000, avec un rythme annuel de 1,5 à 2%. Cette progression a conduit à une restructuration profonde de la filière : le nombre de fruitières est passé de 270 en 1990 à 141 en 2024, tandis que leur capacité moyenne de production a triplé.

La répartition géographique s’est également modifiée. Les départements du Doubs et du Jura concentrent désormais 85% de la production, alors que l’Ain et la Saône-et-Loire voient leur part diminuer. Le succès à l’export explique une partie de cette évolution, avec 10,7% de la production vendue à l’international en 2024, principalement vers l’Allemagne et les États-Unis.

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L’intensification des pratiques agricoles

Les exploitations laitières de la zone AOP ont connu une mutation profonde : le cheptel moyen est passé de 35 à 65 vaches par ferme entre 2000 et 2024. La productivité par animal a augmenté de 42%, atteignant 7 200 litres de lait par an et par vache.

Cette intensification se traduit par une modification des modes d’alimentation. Les prairies naturelles, qui représentaient 90% des surfaces fourragères en 1990, n’en constituent plus que 65% aujourd’hui. L’ensilage d’herbe et le maïs fourrage ont progressivement remplacé le foin traditionnel dans de nombreuses exploitations.

Le rythme de traite s’est également intensifié, avec 83% des fermes équipées de robots de traite en 2024. Cette mécanisation a permis d’augmenter la production tout en réduisant la main-d’œuvre, mais elle a aussi modifié en profondeur le rapport entre l’éleveur et son troupeau.

Les défis de la filière fromage AOP

Le cahier des charges actuel

Le nouveau cahier des charges de l’AOP Comté, validé par l’INAO en novembre 2024, renforce les exigences environnementales avec 170 points de contrôle, contre 100 dans la version précédente.

Une mesure phare limite désormais la production à 1,2 million de litres de lait par exploitation pour favoriser un modèle agricole familial. La surface minimale de pâturage passe à 1,3 hectare par vache, tandis que l’épandage des boues d’épuration sera totalement interdit d’ici 2030.

« Ces nouvelles règles marquent un tournant vers plus de durabilité », souligne Alain Mathieu, président du Comité interprofessionnel. Le texte impose également 50% minimum de prairies naturelles dans chaque exploitation et un encadrement strict des pratiques de fertilisation pour préserver la qualité des sols.

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Les limites du modèle de production

Le modèle de production du comté révèle ses contradictions structurelles en 2025. Malgré un cahier des charges renforcé, les mesures actuelles peinent à résoudre le dilemme entre croissance économique et préservation environnementale. La concentration géographique de la production dans certaines zones fragilise les écosystèmes locaux.

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La recherche permanente de productivité met sous tension le système traditionnel des fruitières. Les petites structures, pourtant garantes du savoir-faire ancestral, se trouvent marginalisées face aux unités de production plus importantes. Cette évolution questionne la capacité du modèle AOP à maintenir ses exigences qualitatives sur le long terme.

Les mécanismes de régulation montrent leurs limites face à la pression du marché. La demande croissante encourage une intensification des pratiques, même si elle reste encadrée par rapport à d’autres filières laitières. Les zones les plus productives atteignent un seuil critique en termes de charge environnementale.

Les réponses des producteurs

Face aux critiques environnementales, les producteurs de comté adoptent une position nuancée. « Ces attaques sont blessantes et injustes compte tenu du niveau d’exigences qu’on s’impose dans la région« , déclare Alain Mathieu, président du Comité interprofessionnel de gestion du comté.

Les acteurs de la filière mettent en avant les 170 points de contrôle de leur nouveau cahier des charges et rappellent leur rôle dans la préservation des paysages jurassiens. « Nous sommes les premiers gardiens de notre terroir« , souligne Samuel Pertreux, éleveur dans le Doubs.

La plupart des producteurs reconnaissent la nécessité d’améliorer certaines pratiques. Une majorité d’entre eux s’engage dans des démarches volontaires : réduction des intrants chimiques, restauration des haies, optimisation de la gestion des effluents. « Notre objectif est de concilier tradition fromagère et innovation environnementale« , affirme le collectif des fruitières durables du Jura.

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Vers une production plus durable ?

Les initiatives environnementales existantes

Sur les 1 500 exploitations laitières de la zone AOP, 230 fermes ont adopté en 2024 le label « Comté Durable », qui impose une réduction de 25% des intrants chimiques. La coopérative du Val de Loue expérimente depuis 2023 un système innovant de méthanisation collective, transformant les effluents de 45 fermes en biogaz.

L’association des fruitières du Haut-Doubs a lancé le programme « Prairies Vivantes », restaurant 320 hectares de zones humides. « Ces actions démontrent qu’une production fromagère peut conjuguer tradition et protection de l’environnement », souligne le laboratoire Chrono-environnement dans son rapport 2025.

Le réseau des fermes-pilotes « Comté Demain » teste de nouvelles pratiques comme l’agroforesterie et le pâturage dynamique. Ces 15 exploitations ont réduit leur empreinte carbone de 35% en deux ans, prouvant la viabilité d’un modèle plus écologique.

Les pistes d’amélioration pour 2026

La filière Comté s’engage dans une transformation majeure avec son plan « Horizon 2026 ». Le nouveau programme prévoit la création d’une certification « Rivières Vivantes » qui imposera un diagnostic écologique complet pour chaque fruitière.

Une enveloppe de 25 millions d’euros sera dédiée à la modernisation des stations d’épuration des fromageries. « Notre objectif est d’atteindre une réduction de 40% des rejets azotés d’ici 2026« , explique Marie-Claude Barnay, directrice du programme de transition écologique.

Le plan intègre également la création d’un observatoire indépendant de la biodiversité sur la zone AOP, associant scientifiques et associations environnementales. Un système de bonus-malus encouragera les pratiques vertueuses, avec une modulation du prix du lait selon les performances environnementales des exploitations.

L’avenir du comté face aux enjeux écologiques

La transformation de la filière Comté s’annonce comme un défi majeur pour la prochaine décennie. Les modèles prévisionnels du laboratoire Chrono-environnement suggèrent qu’une réduction de 30% des volumes de production serait nécessaire pour restaurer l’équilibre écologique des rivières d’ici 2035.

Un nouveau paradigme émerge, associant tradition fromagère et innovation environnementale. Le programme « Comté 2035 » prévoit la généralisation des prairies à haute valeur environnementale sur 85% de la zone AOP, combinée à une agriculture régénératrice qui stocke le carbone dans les sols.

Les mutations à venir devront aussi répondre aux défis climatiques : les scientifiques anticipent une baisse de 25% des précipitations estivales dans le Jura d’ici 2040, bouleversant le modèle pastoral traditionnel. La survie du comté passera par sa capacité à devenir un modèle d’agroécologie alpine.

Mise à jour de l’article : 14 juin 2025