Mise à jour de l’article : 8 avril 2025
La découverte d’un gisement colossal d’hydrogène blanc en Moselle fin 2023 a contraint Jean-Marc Jancovici à revoir sa position, lui qui affirmait que l’hydrogène naturel n’existait pas à l’état pur sur Terre.
En ce début 2025, les promesses d’une énergie propre et naturellement présente dans notre sous-sol divisent toujours la communauté scientifique. L’hydrogène blanc pourrait-il révolutionner notre mix énergétique ? Les critiques de Jancovici restent-elles pertinentes ?
Cet article analyse l’évolution des perspectives autour de l’hydrogène blanc depuis sa découverte en France, et les tensions persistantes entre optimistes et sceptiques dans le monde de l’énergie.

Thème | Points Clés |
---|---|
⚙️ Définition | H₂ naturel extrait du sous-sol, pur à 98%, formé par processus géologiques continus. |
🌐 Découverte en France | Gisement en Moselle (46 Mt), auto-régénératif, potentiel stratégique pour la France. |
🔬 Comparaison H₂ | Blanc : naturel et bas carbone. Gris : émetteur de CO2. Vert : coûteux à produire. |
📚 Analyse de Jancovici | Initialement sceptique, il reconnaît en 2025 un potentiel pour l’industrie lourde. |
🏗️ Défis Techniques | Extraction complexe (fuites, purification). Coût compétitif : 0,5-1 €/kg. |
🔋 Applications | Sidérurgie, chimie, engrais. Intégration prévue : 5% du mix énergétique d’ici 2030. |
🌱 Enjeux Environnementaux | Réduction massive des émissions de CO2. Risques : nappes phréatiques, fuites de méthane. |
L’hydrogène blanc : définition et enjeux
Qu’est-ce que l’hydrogène blanc naturel ?
L’hydrogène blanc, également appelé hydrogène natif, désigne le dihydrogène (H2) naturellement présent dans le sous-sol terrestre et marin. Cette ressource se forme continuellement grâce à trois processus géologiques majeurs : la serpentinisation des roches riches en fer, la radiolyse de l’eau par la radioactivité naturelle, et les dégazages mantelliques.
Les scientifiques estiment qu’environ 20 mégatonnes d’hydrogène blanc s’échappent chaque année des sols terrestres. « Cette production naturelle continue représente un changement de paradigme majeur », souligne l’Académie des technologies. En effet, contrairement aux énergies fossiles, il ne s’agit pas d’un stock fini mais d’un flux renouvelable.
Sa pureté peut atteindre 98% dans certains gisements, comme celui découvert à Bourakébougou au Mali, premier site d’exploitation au monde depuis une trentaine d’années.
Les différences avec les autres types d’hydrogène
L’hydrogène blanc se distingue radicalement des autres modes de production actuels. Contrairement à l’hydrogène gris issu du gaz naturel ou l’hydrogène vert produit par électrolyse de l’eau, sa formation ne nécessite aucune intervention humaine ni apport énergétique.
Cette ressource naturelle présente une densité énergétique par unité comparable aux autres types d’hydrogène, mais avec un bilan carbone quasi nul. « L’absence de processus industriel dans sa production représente un avantage majeur », souligne l’Agence Internationale de l’Énergie, même si les défis du stockage et du transport restent similaires.
Sa pureté naturelle élevée le rend particulièrement adapté pour la fabrication d’engrais et la pile à combustible, sans nécessiter les coûteuses étapes de purification requises pour l’hydrogène gris ou vert.

Le gisement qui change la donne en France
La découverte majeure en Moselle
Dans les profondeurs du bassin minier de Folschviller, une découverte majeure a bouleversé le monde de l’énergie fin 2023. Les chercheurs du laboratoire GeoRessources ont identifié un gisement contenant jusqu’à 46 millions de tonnes d’hydrogène blanc, soit l’équivalent de la moitié de la production mondiale actuelle d’hydrogène.
À 3000 mètres sous terre, les analyses révèlent une concentration exceptionnelle atteignant 98% de pureté. « Cette ressource naturelle pourrait grandement contribuer à la transition énergétique », souligne Philippe De Donato, directeur de recherche au CNRS et co-découvreur du gisement.
Le gouvernement français a rapidement saisi l’importance stratégique de cette découverte, annonçant des « financements massifs pour explorer le potentiel d’hydrogène blanc » et positionnant la France comme futur leader dans cette énergie prometteuse.
Le potentiel de production continue
Les analyses géologiques révèlent une caractéristique remarquable du gisement lorrain : sa capacité d’auto-régénération. La forte concentration de molécules d’eau et de minéraux composés de carbonate de fer dans le sous-sol permet une production naturelle continue d’hydrogène sur des cycles de quelques semaines à quelques mois.
Cette dynamique de renouvellement naturel pourrait transformer ce réservoir en une source quasi-inépuisable. « Le processus chimique est extrêmement rapide », explique Jacques Pironon, directeur du laboratoire GeoRessources. « Nous observons une régénération constante qui pourrait maintenir une production stable pendant des décennies ».
Le programme REGALOR II, lancé en 2024, étudie actuellement les mécanismes précis de cette production continue et sa pérennité à long terme. Les premiers résultats suggèrent un potentiel de production annuelle stable pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers de tonnes.

L’analyse critique de Jean-Marc Jancovici
Son positionnement historique sur l’hydrogène
« Je veux bien parier toutes mes économies que je mourrai sans avoir vu d’aviation commerciale à hydrogène », déclarait Jean-Marc Jancovici en 2023. Son analyse critique de l’hydrogène dans les transports s’appuyait sur des calculs de rendement implacables : pour chaque unité d’énergie électrique utilisée, seul un quart arrive réellement au moteur.
Le consultant énergétique pointait notamment les pertes successives : 30-40% lors de l’électrolyse, 20% au moment de la logistique, et 50% dans la pile à combustible. Cette cascade de pertes rendait selon lui l’hydrogène peu pertinent face au vecteur électrique direct.
Pour les usages industriels comme la réduction du minerai de fer, Jancovici reconnaissait une utilité potentielle, tout en soulignant les problèmes d’énergie primaire : produire massivement de l’hydrogène décarboné nécessiterait de doubler la production électrique mondiale.
Les limites techniques soulevées
L’utilisation de l’hydrogène se heurte à des contraintes physiques fondamentales que Jancovici continue de souligner en 2025. Le stockage nécessite un énorme réservoir volant en raison de sa faible densité volumique : 1 kg d’hydrogène occupe 11 m³ à pression atmosphérique, soit un volume 3000 fois supérieur à celui de l’essence pour la même énergie.
Les pertes énergétiques représentent un défi majeur pour atteindre un bon rendement. La chaîne complète de l’hydrogène implique une cascade de transformations : compression à 700 bars pour le stockage, liquéfaction à -253°C pour le transport, et reconversion en électricité dans les piles à combustible. Selon les calculs du cabinet Asterès, ces processus consomment jusqu’à 75% de l’énergie initiale, rendant l’hydrogène peu compétitif face au vecteur électrique direct pour les besoins de la France.
L’évolution de son point de vue en 2025
Face aux découvertes majeures en Moselle, Jean-Marc Jancovici nuance désormais son analyse. « Les gisements d’hydrogène blanc représentent une surprise géologique qui mérite d’être étudiée », reconnaît-il début 2025, tout en maintenant ses réserves sur les usages mobiles.
Le consultant souligne néanmoins que cette ressource naturelle pourrait s’avérer pertinente pour certains usages industriels stationnaires, notamment la production d’engrais et la sidérurgie. Cette position reflète une évolution pragmatique : si l’hydrogène blanc ne résout pas tous les défis énergétiques, il offre une option supplémentaire pour décarboner certains secteurs clés.
« L’hydrogène naturel n’est pas la solution miracle, mais il peut contribuer à la transition écologique là où l’électrification directe n’est pas possible », précise-t-il lors d’une audition au Sénat en janvier 2025.

Les défis de l’exploitation industrielle
Comment extrait-on l’hydrogène blanc ?
L’extraction de l’hydrogène blanc s’inspire des techniques utilisées dans l’industrie pétrolière, avec des adaptations spécifiques. Les forages s’effectuent entre 500 et 4000 mètres de profondeur, où les concentrations naturelles sont les plus élevées.
Les ingénieurs du site de Bourakébougou au Mali ont développé une méthode en trois phases : le forage vertical classique, l’installation de membranes de filtration sélective, et la mise en place d’un système de compression adapté aux grandes quantités d’hydrogène. « Le défi principal réside dans la gestion des risques d’explosion liés à la haute inflammabilité du gaz », explique l’équipe technique de TBH2 Aquitaine.
La purification naturelle de l’hydrogène blanc permet d’économiser l’équivalent de plusieurs tonnes de CO2 par rapport aux processus industriels classiques, tout en réduisant significativement les coûts énergétiques.
Les obstacles technologiques actuels
La séparation de l’hydrogène des autres gaz présents dans le sous-sol représente un verrou technologique majeur au-delà d’un kilomètre de profondeur. « Les techniques actuelles de séparation membranaire atteignent leurs limites physiques à ces profondeurs », souligne Antoine Forcinal, directeur général de la FDE.
Les molécules chimiques agressives présentes dans certains gisements, comme l’hydrogène sulfuré, détériorent rapidement les équipements d’extraction. La conception d’avions à hydrogène se heurte également à ces contraintes de pureté : les turbines requièrent un hydrogène pur à 99,999%, un niveau difficile à garantir avec l’hydrogène blanc brut.
Le prix de l’électricité nécessaire aux opérations de purification supplémentaires pourrait rendre l’exploitation peu rentable dans certains cas. Cette problématique rappelle les défis rencontrés par la fusée Ariane dans sa quête d’hydrogène ultra-pur pour ses moteurs cryogéniques.
Les coûts de développement
Les investissements nécessaires pour exploiter l’hydrogène blanc s’avèrent nettement inférieurs aux autres filières. Le coût d’extraction se situe entre 0,5 et 1€/kg, contre 3 à 6€/kg pour l’hydrogène gris et jusqu’à 10€/kg pour le vert.
Les équipements spécialisés constituent le premier poste de dépense. La FDE estime l’investissement initial à 50 millions d’euros pour une unité de production de taille moyenne, incluant les forages et les systèmes de purification. Les coûts opérationnels restent modérés grâce à l’absence d’intrants énergétiques majeurs.
La rentabilité économique dépend fortement de la profondeur des gisements. « Au-delà de 2000 mètres, les coûts augmentent exponentiellement », précise un rapport du BRGM. Les projets actuels se concentrent sur les réservoirs peu profonds pour optimiser le retour sur investissement.

Perspectives d’utilisation en 2025
Applications industrielles envisagées
La sidérurgie française s’impose comme le premier secteur à adopter l’hydrogène blanc, avec une capacité de réduction directe du minerai de fer estimée à 500 000 tonnes par an d’ici 2027.
L’industrie chimique développe également des projets pilotes prometteurs. « L’hydrogène blanc pourrait remplacer 30% de notre consommation actuelle d’hydrogène gris dans la production d’ammoniac », annonce le directeur innovation d’Air Liquide.
Le secteur du verre et de la céramique expérimente des fours haute température alimentés en hydrogène blanc. Ces applications stationnaires, que Jean-Marc Jancovici considère comme les plus pertinentes, permettraient de décarboner des procédés industriels historiquement dépendants des énergies fossiles.
Place dans le mix énergétique français
Le mix énergétique français connaît une transformation majeure avec l’arrivée de l’hydrogène blanc. Les projections 2025 de RTE intègrent désormais cette ressource à hauteur de 5% de la consommation énergétique nationale d’ici 2030, principalement dans l’industrie lourde.
Les gisements identifiés en Moselle pourraient fournir jusqu’à 250 000 tonnes d’hydrogène blanc par an, soit l’équivalent de la consommation actuelle d’hydrogène gris de toute la sidérurgie française. RTE souligne que cette production naturelle réduirait la pression sur le réseau électrique, évitant la construction de 2 GW d’électrolyseurs initialement prévus pour l’hydrogène vert.
Le Conseil National de l’Hydrogène estime que l’hydrogène blanc occupera une place stratégique aux côtés du nucléaire et des énergies renouvelables, avec un objectif de 15% du mix énergétique industriel d’ici 2035.
Comparaison avec les alternatives existantes
L’hydrogène blanc présente un rendement énergétique global nettement supérieur à ses concurrents. Sa production naturelle nécessite 10 fois moins d’énergie que l’hydrogène vert par électrolyse, avec une empreinte carbone quasi-nulle.
Les avantages compétitifs s’étendent au-delà du simple bilan énergétique. Une étude du CEA publiée en décembre 2024 révèle que « la production d’une tonne d’hydrogène blanc émet 0,2 tonnes de CO2, contre 10 tonnes pour l’hydrogène gris et 2 tonnes pour le vert ».
La filière française dispose d’atouts uniques face aux importations d’hydrogène vert d’Afrique du Nord. Les gisements mosellans, situés à proximité des bassins industriels, réduisent drastiquement les pertes liées au transport et au stockage qui affectent les autres sources d’hydrogène décarboné.

L’avenir de l’hydrogène blanc
Les projets de recherche en cours
Les laboratoires mondiaux rivalisent d’innovation pour exploiter l’hydrogène blanc. L’université de Stanford développe une technologie révolutionnaire de micro-capteurs géologiques permettant de cartographier les gisements avec une précision inédite.
La France n’est pas en reste avec le programme HydroPro 2025, qui mobilise 200 chercheurs sur trois axes majeurs : la détection des réservoirs profonds, l’optimisation des techniques d’extraction, et l’étude des cycles naturels de régénération. « Nos simulations suggèrent que certains gisements pourraient se régénérer en quelques décennies », précise la directrice du programme.
L’Australie expérimente quant à elle des systèmes de forage intelligents capables d’adapter leur trajectoire en temps réel selon la concentration d’hydrogène détectée, une innovation qui pourrait réduire de moitié les coûts d’exploration.
Les enjeux environnementaux
L’extraction d’hydrogène blanc soulève des questions environnementales majeures au-delà des seules émissions de CO2. Les études d’impact menées en Moselle révèlent des risques de perturbation des nappes phréatiques lors des forages profonds.
Un rapport du BRGM publié en décembre 2024 met en garde contre les « possibles fuites de méthane associées aux remontées d’hydrogène », estimées entre 0,1 et 0,5% du volume extrait. La surveillance microsismique des sites d’extraction devient cruciale pour prévenir toute déstabilisation des sols.
Le défi de la biodiversité souterraine émerge également comme une préoccupation majeure. Des écosystèmes microbiens uniques, découverts dans les zones riches en hydrogène naturel, pourraient être menacés par une exploitation intensive. « Ces communautés bactériennes jouent potentiellement un rôle clé dans la régénération des réservoirs », souligne une étude de l’INRAE.
Le potentiel de décarbonation
La substitution complète de l’hydrogène gris par l’hydrogène blanc naturel permettrait de réduire les émissions mondiales de CO2 de 830 millions de tonnes par an, soit l’équivalent des émissions annuelles de l’Allemagne.
Les analyses du GIEC démontrent que le basculement vers l’hydrogène blanc pourrait accélérer la décarbonation des secteurs difficiles comme la sidérurgie et la chimie lourde. Son empreinte carbone 50 fois inférieure à l’hydrogène gris ouvre des perspectives inédites pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
La France métropolitaine dispose d’un potentiel technique de réduction des émissions estimé à 25 millions de tonnes de CO2 par an grâce à l’hydrogène blanc. « Cette ressource pourrait devenir un pilier majeur de notre stratégie bas-carbone, à condition de maîtriser son extraction et sa distribution », souligne la Stratégie Nationale Bas-Carbone 2024-2028.