Déchets nucléaires Cigéo à Bure : comprendre les enjeux et les coûts du projet en 2025

Le projet Cigéo franchit une étape majeure avec une réévaluation de son coût par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Le site d’enfouissement pourrait désormais coûter entre 26,1 et 37,5 milliards d’euros, bien au-delà des 25 milliards initialement prévus.

Ce projet, lancé en 1991, prévoit l’enfouissement de 83 000 mètres cubes de déchets radioactifs à 500 mètres sous terre dans la Meuse. Certains de ces déchets resteront dangereux pendant plusieurs centaines de milliers d’années, posant un défi technique et environnemental sans précédent.

L’enjeu est crucial : garantir la sûreté d’un site qui devra isoler des matières hautement radioactives sur des durées dépassant l’échelle de toute civilisation humaine connue, tout en assurant une surveillance et une réversibilité du stockage.

Déchets nucléaires Cigéo à Bure

Qu’est-ce que le projet Cigéo à Bure ?

Le choix du site de la Meuse

En 2000, l’Andra a débuté la construction d’un laboratoire souterrain à Bure dans une zone située entre la Meuse et la Haute-Marne. Le site a été sélectionné pour sa couche d’argilite exceptionnelle de 150 mètres d’épaisseur, offrant des propriétés idéales de stabilité et d’imperméabilité.

Le laboratoire actuel s’étend sur un réseau de 1 800 mètres de galeries à 490 mètres de profondeur, permettant d’étudier avec précision les caractéristiques géologiques du terrain. En 2023, 465 entreprises locales ont collaboré avec l’Andra, générant une activité économique de 22 millions d’euros pour le territoire.

Pour la période 2025-2027, l’Andra prévoit 250 millions d’euros de commandes dans le cadre du programme « Achetons local », illustrant l’ampleur des retombées économiques attendues pour cette région rurale.

Site internet de l’Andra : https://www.andra.fr/

Les types de déchets concernés

Le projet Cigéo est dimensionné pour accueillir deux catégories principales de déchets radioactifs : les déchets de haute activité (HA) et ceux de moyenne activité à vie longue (MA-VL). Les premiers, représentant 10% du volume total mais 99,9% de la radioactivité, sont issus du traitement des combustibles usés des centrales. Les seconds, environ 90% du volume, proviennent des structures métalliques entourant le combustible.

Le volume maximal autorisé atteint 83 000 mètres cubes, dont certains resteront radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années. L’intégration des futurs réacteurs EPR2 pourrait augmenter ces volumes de 5% pour les MA-VL et 20% pour les HA, selon la nouvelle évaluation de l’Andra.

Déchets nucléaires Cigéo à Bure

La durée de vie du projet

Le calendrier prévisionnel de Cigéo s’étale sur plusieurs générations. L’Andra prévoit une phase industrielle pilote à partir de 2035-2040, avec des tests sur des colis factices pendant 15 à 25 ans. Cette période cruciale permettra de valider le bon fonctionnement des installations avant l’arrivée des premiers déchets radioactifs.

La mise en service industrielle complète n’interviendra pas avant 2050. Les opérations de stockage se poursuivront ensuite jusqu’en 2150, date prévue pour la fermeture définitive du site. À partir de là, une phase de surveillance sera maintenue pendant que les déchets resteront dangereux, soit plusieurs centaines de milliers d’années.

Le ministre de l’Énergie doit fixer par arrêté d’ici fin 2025 le nouveau calendrier détaillé, après consultation de l’Autorité de sûreté nucléaire et des producteurs de déchets.

Le principe du stockage géologique profond

L’enfouissement à 500 mètres de profondeur

La descente des déchets radioactifs s’effectuera par une « descenderie », un tunnel en pente douce de 12% s’étendant sur 5 kilomètres. Cette infrastructure unique permettra d’acheminer les colis de 500 à 600 kg jusqu’à leur destination finale à 490 mètres sous terre.

Un funiculaire spécialement conçu par l’entreprise Poma assurera le transport sécurisé des conteneurs. « Inédit et sans comparable », selon l’Andra, ce système de manutention représente un investissement de 68 millions d’euros et constitue une première mondiale dans le domaine du stockage géologique profond.

Les installations souterraines s’étendront progressivement pour atteindre à terme 270 kilomètres de galeries, soit l’équivalent de plus de 2 000 terrains de football. Cette configuration permettra d’optimiser la répartition des colis tout en garantissant leur isolation du monde extérieur.

Les caractéristiques de la roche argileuse

Âgée de 160 millions d’années, la couche d’argilite du Callovo-Oxfordien sélectionnée pour le stockage présente une stabilité exceptionnelle. Cette roche quasi-imperméable s’étend sur une épaisseur de 130 mètres entre 420 et 555 mètres de profondeur.

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Les minéraux argileux qui la composent possèdent une capacité unique à piéger les radionucléides. Une propriété démontrée par les études du laboratoire souterrain : les éléments radioactifs qui pourraient migrer mettraient plusieurs centaines de milliers d’années pour parcourir quelques mètres.

La stabilité géologique de cette formation, inchangée depuis l’ère jurassique, offre une barrière naturelle capable de confiner la radioactivité même après la dégradation progressive des conteneurs de déchets.

Le système de galeries souterraines

L’architecture souterraine de Cigéo s’organise autour de deux zones distinctes de stockage. La première, dédiée aux déchets MA-VL, comprend des alvéoles horizontales de 400 mètres de long. La seconde, réservée aux déchets HA, utilise des micro-tunnels de 80 à 100 mètres.

Un réseau complexe de tunnels principaux relie ces zones, permettant la circulation des équipements robotisés et du personnel de maintenance. Ces galeries principales de 9 mètres de diamètre sont conçues pour résister plusieurs siècles, grâce à un revêtement en béton haute performance.

La construction modulaire permettra d’adapter le creusement aux besoins. Les alvéoles de stockage seront créées progressivement jusqu’en 2150, selon un plan d’aménagement qui prévoit d’optimiser la ventilation et la sécurité des opérations.

Déchets nucléaires Cigéo à Bure

Les coûts du projet revus en 2025

Une facture entre 26 et 37 milliards d’euros

L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs vient de révéler sa nouvelle estimation du coût total du projet Cigéo : entre 26,1 et 37,5 milliards d’euros. Cette réévaluation représente une augmentation significative par rapport aux 25 milliards d’euros fixés en 2016 par Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie.

En ajoutant l’inflation, la facture pourrait même grimper jusqu’à 45,3 milliards d’euros. Gaëlle Saquet, directrice générale par intérim de l’établissement public, précise que « il s’agit d’un coût globalement maîtrisé, très proche du précédent chiffrage de 2014 qui était de 33,8 milliards ».

Le ministre de l’Énergie devra trancher d’ici fin 2025 sur ce nouveau montant, après consultation de l’Autorité de sûreté nucléaire et des principaux producteurs de déchets.

Les raisons de cette augmentation

La réévaluation des coûts du stockage géologique profond reflète la complexité croissante du projet Cigéo. Les retours d’expérience des grands chantiers souterrains, comme le métro du Grand Paris Express, ont conduit à une révision des estimations techniques.

L’allongement des alvéoles de stockage et la sécurisation du site nécessitent des investissements supplémentaires non prévus initialement. La prise en compte du volume des déchets issus des installations nucléaires existantes et la possible relance du nucléaire avec les nouveaux EPR2 ont également pesé dans ce nouveau chiffrage.

Les études de conception se sont révélées plus longues et complexes que prévu, notamment pour garantir la sûreté sur plusieurs siècles. L’Andra souligne que cette estimation maximale de 37,5 milliards d’euros intègre désormais « l’ensemble des coûts sur une période de plus de 150 ans », de la construction jusqu’à la fermeture définitive.

Le financement par les producteurs de déchets

Les trois principaux producteurs de déchets radioactifs – EDF, le CEA et Orano – financent l’intégralité du projet selon le principe du « pollueur-payeur ». Un système de provisions obligatoires, contrôlé par l’État, garantit la disponibilité des fonds sur toute la durée du projet.

La loi du 28 juin 2006 a créé plusieurs fonds spécifiques pour sécuriser ce financement. Les producteurs doivent constituer des réserves financières représentant 1 à 2% du coût total de la production d’électricité nucléaire.

La nouvelle estimation des coûts va contraindre les exploitants à revoir leurs provisions à la hausse. Le ministre de l’Énergie déterminera d’ici fin 2025 le montant exact que chaque producteur devra provisionner, après consultation de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection.

La sûreté et la réversibilité du stockage

Les garanties techniques à long terme

La sûreté passive constitue le principe fondamental du stockage Cigéo. La conception repose sur un système multi-barrières comprenant les conteneurs en acier, les alvéoles en béton spécial et la roche argileuse. « La durée de confinement que Cigéo est capable de garantir suffit à abaisser la nocivité des déchets à un niveau tel qu’elle ne pose plus de problème pour les populations », souligne la Commission Nationale d’Evaluation.

Les matériaux ont été sélectionnés pour leur résistance exceptionnelle à la corrosion. Les conteneurs en acier inoxydable sont conçus pour maintenir leur intégrité pendant plusieurs siècles, tandis que les revêtements en béton haute performance des alvéoles assurent une protection supplémentaire contre les infiltrations d’eau.

Déchets nucléaires Cigéo à Bure

La surveillance sur des milliers d’années

La radioactivité des déchets stockés à Cigéo nécessite une surveillance pendant plusieurs centaines de milliers d’années. L’Andra a développé un système de capteurs innovants capables de fonctionner sans maintenance pendant des décennies pour mesurer la température, la pression et d’éventuelles infiltrations d’eau.

Un programme international baptisé « Mémoire pour les générations futures » mobilise historiens, anthropologues et linguistes pour transmettre l’information sur « l’existence et la dangerosité du site sur des échelles de temps dépassant largement nos civilisations actuelles ». Des marqueurs physiques en surface, résistants à l’érosion, seront installés pour signaler la présence du stockage.

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La phase de surveillance active durera au minimum 100 ans après la fermeture du site, prévue vers 2150. Les données seront archivées sur des supports spécialement conçus pour traverser les siècles, tandis que des échantillons de roche continueront d’être prélevés régulièrement pour vérifier le confinement des déchets.

La possibilité de récupérer les déchets

La loi de 2016 impose une réversibilité du stockage pendant au moins 100 ans après la mise en service de Cigéo. Les colis de déchets doivent rester techniquement récupérables selon des modalités précises, grâce à des alvéoles conçues avec des rails de manutention et des systèmes de ventilation adaptés.

L’Andra mène actuellement des tests grandeur nature dans son laboratoire souterrain pour valider les procédures de retrait. « La récupérabilité des colis fait partie intégrante de la démonstration de sûreté », souligne la directrice générale par intérim. Les robots et équipements spécialisés permettront d’intervenir même en cas de dégradation des conteneurs.

Cette flexibilité laisse aux générations futures la possibilité de modifier les choix de gestion si de nouvelles solutions technologiques émergent pour le traitement des déchets radioactifs.

Les impacts environnementaux à Bure

La protection des eaux souterraines

Les études hydrogéologiques menées par l’Andra ont identifié deux nappes phréatiques principales autour du site de Bure : les calcaires de l’Oxfordien et les grès du Tithonien. Des forages profonds révèlent une circulation d’eau extrêmement lente dans la couche argileuse, de l’ordre de quelques centimètres par million d’années.

Un réseau de 40 piézomètres surveille en permanence la qualité des eaux souterraines. « La conception des galeries intègre un système d’étanchéité multicouche pour prévenir tout risque de contamination », précise le rapport 2025 de l’Autorité environnementale. Les eaux d’infiltration seront collectées, analysées et traitées dans une unité spécialisée avant rejet.

Les modélisations sur 100 000 ans démontrent que la migration des radionucléides resterait confinée dans l’argile, même en cas de scénario dégradé. Le plan de surveillance prévoit des prélèvements trimestriels dans les sources et les puits agricoles environnants pendant toute la durée d’exploitation.

La préservation de la biodiversité locale

Le bois Lejuc, corridor écologique majeur du site, abrite une remarquable diversité d’espèces protégées comme le chat sauvage et le putois d’Europe. L’Autorité environnementale a souligné dans son dernier rapport la présence de 60 espaces naturels sensibles autour du projet.

Les travaux d’aménagement de Cigéo nécessiteront un défrichement progressif de 115 hectares. L’Andra a développé un programme de compensation écologique qui prévoit la restauration de « trois hectares d’habitats naturels pour chaque hectare impacté », incluant la création de mares et la replantation d’essences locales.

Un observatoire de la biodiversité, installé au sein de l’Écothèque, assure le suivi des populations animales et végétales depuis 2020. Les prélèvements réguliers permettent de constituer une banque d’échantillons représentative de l’écosystème avant le début des travaux.

Les controverses autour du projet

Déchets nucléaires Cigéo à Bure

Les oppositions locales et nationales

Le projet Cigéo fait face à une mobilisation grandissante depuis sa déclaration d’utilité publique en 2022. Les associations environnementales, dont France Nature Environnement et Greenpeace, ont attaqué cette décision devant le Conseil d’État, pointant des risques majeurs pour la sécurité et l’environnement.

La contestation s’organise particulièrement autour de Bure, où la « Maison de la résistance » symbolise l’ancrage local des opposants. En 2024, plus de 40 organisations nationales et 14 collectifs locaux se sont regroupés pour dénoncer un processus décisionnel jugé peu démocratique et des études de sûreté considérées comme insuffisantes.

Les manifestations régulières rassemblent désormais plusieurs milliers de personnes, tandis que les scientifiques s’interrogent sur la pertinence du stockage géologique profond face aux incertitudes techniques persistantes.

Les alternatives proposées

La loi de 1991 avait initialement exigé l’étude de trois voies de gestion : l’entreposage en surface, la séparation-transmutation et le stockage géologique. L’entreposage à faible profondeur, ou stockage « sub-surface », représente l’alternative principale au projet Cigéo. Cette solution permettrait une surveillance plus directe des déchets mais nécessiterait leur reprise tous les 100 ans environ.

La séparation-transmutation des éléments radioactifs offre une piste technologique prometteuse. Les recherches menées par le CEA démontrent qu’elle pourrait réduire la durée de vie des déchets, sans pour autant éliminer le besoin d’un stockage définitif. Le coût estimé de 40 milliards d’euros pour développer cette technologie a freiné son déploiement.

Un rapport de l’Autorité environnementale suggère d’explorer davantage la réduction à la source des déchets, notamment via l’optimisation du combustible usé. « La question du volume total de déchets reste centrale dans l’évaluation des alternatives », souligne le document.

L’héritage pour les générations futures

La question de la responsabilité envers les générations futures constitue le cœur du débat éthique autour de Cigéo. Le Conseil constitutionnel a consacré en octobre 2023 un nouveau principe juridique : « le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins« .

La transmission de la mémoire du site représente un défi sans précédent. L’Andra développe un système de marqueurs durables combinant pictogrammes universels et messages multilingues, conçus pour rester compréhensibles sur des dizaines de milliers d’années. Des échantillons de la société actuelle seront également conservés dans l’Écothèque pour permettre aux générations futures de comprendre le contexte des choix effectués.

La réversibilité du stockage pendant 100 ans offre une flexibilité aux générations qui nous succéderont, tout en assumant notre responsabilité de ne pas leur léguer la charge quotidienne de la surveillance des déchets en surface.

Mise à jour de l’article : 3 juin 2025