Une première historique vient d’être enregistrée en Chine : les émissions de CO2 ont baissé de 1,6% au premier trimestre 2025, malgré une hausse de la demande d’électricité de 2,5%. Cette réduction inédite, confirmée par le Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA), résulte des investissements massifs dans les énergies renouvelables, avec près de deux fois plus de capacités éoliennes et solaires construites que tous les autres pays réunis.
Cette baisse, qui n’est pas liée à un ralentissement économique comme pendant la pandémie de Covid-19, pourrait annoncer l’atteinte du pic d’émissions chinoises avec cinq ans d’avance sur l’objectif de 2030. La Chine reste cependant à peine 1% sous son dernier pic d’émissions, et un rebond industriel pourrait encore inverser cette tendance.

Quelle est la baisse des émissions de CO2 en Chine ?
Une réduction de 1,6% au premier trimestre 2025
Le secteur chinois de la production d’électricité a enregistré une baisse significative de 5,8% de ses émissions au premier trimestre. « La croissance de la production d’énergie propre dépasse désormais la croissance moyenne de la demande d’électricité, réduisant ainsi l’utilisation des énergies fossiles », souligne Lauri Myllyvirta, analyste au CREA.
Cette performance s’explique notamment par l’installation massive de nouvelles capacités éoliennes, solaires et nucléaires. La capacité en énergie renouvelable a d’ailleurs dépassé pour la première fois celle des installations thermiques, marquant un tournant dans la transition énergétique du géant asiatique.
Une demande d’électricité pourtant en hausse de 2,5%
Pour la première fois dans l’histoire économique chinoise, une baisse des émissions de CO2 coïncide avec une croissance soutenue de la demande d’électricité. Cette hausse de 2,5% de la consommation électrique au premier trimestre 2025 contraste avec les précédentes baisses d’émissions, qui étaient systématiquement liées à des ralentissements économiques, comme durant les périodes de confinement pendant la pandémie de Covid-19.
L’essor des renouvelables a permis de couvrir 71% de cette hausse de la demande depuis mars 2025, principalement grâce aux nouvelles capacités solaires et éoliennes. La production d’énergie propre a généré 171 térawattheures supplémentaires, soit davantage que la production totale du Royaume-Uni sur un semestre.

Les énergies renouvelables, moteur du changement
L’essor du solaire et de l’éolien
Les chiffres sont spectaculaires : la Chine a installé 277 gigawatts de nouvelles capacités solaires et 80 gigawatts d’éolien en 2024, dépassant de 28% ses résultats de l’année précédente. Sa capacité totale atteint désormais 887 GW pour le solaire et 521 GW pour l’éolien.
L’Administration nationale de l’Énergie rapporte qu’au premier trimestre 2025, « les nouvelles installations ont totalisé une puissance de 74,33 millions de kilowatts », portant la capacité totale du réseau à 1,482 milliard de kilowatts. Une performance qui permet à la Chine de construire près de deux fois plus de capacités renouvelables que tous les autres pays réunis.
Le rôle croissant du nucléaire
La montée en puissance du nucléaire accompagne la transition énergétique chinoise. Avec 56 réacteurs actuellement en service et 46 projets approuvés, représentant une capacité supplémentaire de 55 GW, la Chine affirme ses ambitions dans ce domaine.
Les centrales électriques nucléaires ont contribué significativement à la réduction des émissions au premier trimestre 2025, selon le média spécialisé Carbon Brief. La production d’origine nucléaire a augmenté de 15,5% par rapport à la même période en 2024, devenant un élément essentiel du mix énergétique chinois.
À long terme, cette stratégie devrait permettre à la Chine de dépasser les États-Unis pour devenir le premier parc nucléaire mondial d’ici 2030, marquant une étape notable dans sa politique de décarbonation.

Un tournant dans la politique climatique chinoise
Les engagements de l’accord de Paris
La Chine a récemment renforcé ses objectifs climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris. Son engagement initial de réduire l’intensité carbone de 60-65% d’ici 2030 par rapport à 2005 s’est transformé en un objectif plus ambitieux : atteindre la neutralité carbone avant 2060.
Les résultats du premier trimestre 2025 rapprochent le pays de son objectif d’atteindre un pic d’émissions « avant 2030 ». Selon les données du Bureau national des statistiques, la baisse de 3,4% de l’intensité carbone en 2024 place la Chine sur une trajectoire de réduction de 18% pour la période 2020-2025.
Ces avancées s’accompagnent d’un nouveau mécanisme de contrôle des émissions, avec l’adoption d’objectifs en volume plutôt qu’en intensité carbone. « La Chine doit élaborer des plans de mise en œuvre assurant un pic d’émissions avant 2025 », souligne Li Shuo, expert de Greenpeace Chine.
Les nouveaux objectifs pour 2035
Le président Xi Jinping a promis fin avril 2025 de dévoiler les objectifs climatiques de la Chine pour 2035 avant la COP30 de Belém. Une annonce majeure qui, selon le Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur, devrait inclure une réduction d’au moins 30% des émissions du secteur électrique d’ici 2035.
Ces nouveaux engagements couvriront pour la première fois l’ensemble des gaz à effet de serre, et non plus uniquement le CO2. « La NDC chinoise contiendra un objectif absolu de réduction des émissions à l’horizon 2035 », confirme Li Shuo, expert à l’Asia Society Policy Institute.
Le pays prévoit également d’augmenter la part des combustibles non fossiles à 80% dans son mix énergétique d’ici 2060, un objectif qui nécessitera une accélération significative de sa transition énergétique après 2035.

Le charbon, un défi majeur en mutation
État des lieux de la dépendance au charbon
Le charbon reste un enjeu majeur dans le mix énergétique chinois, représentant encore 58% de la production d’électricité au premier trimestre 2025. Une réalité qui pose question face aux objectifs climatiques du pays.
Malgré une réduction significative des permis de construire pour les centrales à charbon, qui ont chuté de 83% au premier semestre 2024, le géant asiatique a lancé la construction de 94,5 gigawatts de nouvelles capacités l’année dernière, soit 93% du total mondial.
Au rythme de croissance actuel des énergies propres, le Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur estime que le pic de consommation de charbon pourrait être atteint dès 2025. Une perspective encourageante qui marquerait le début d’un déclin progressif de cette source d’énergie fossile dans le pays.
Les stratégies de réduction planifiées
La Commission nationale du développement et de la réforme met en œuvre des mesures concrètes pour accélérer la transition. D’ici fin 2025, les centrales électriques devront réduire leur consommation moyenne à 300 grammes de charbon standard par kilowattheure, tandis que des mécanismes d’échange de quotas d’émissions seront renforcés au niveau national.
L’Union européenne et la Chine ont signé le mois dernier un accord de coopération pour améliorer la qualité de l’air et réduire les pollutions industrielles. Cette collaboration vise notamment une réduction de la demande de 13,5% d’ici 2026, dépassant les objectifs de l’Inde en matière d’utilisation du charbon.

L’impact sur l’économie chinoise
Une croissance compatible avec la décarbonation
Les investissements dans les technologies vertes ont représenté 26% de la croissance économique chinoise au premier trimestre 2025. Une performance qui confirme le découplage entre croissance et émissions de CO2, avec 1 695 milliards d’euros investis dans les énergies propres.
L’énergie propre devient une infrastructure industrielle majeure en Chine, dépassant désormais les investissements dans l’immobilier ou l’agriculture. « La transition vers le clean air génère plus d’emplois et de valeur ajoutée que les secteurs traditionnels », souligne Lauri Myllyvirta du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur.
Les grandes lignes du XIVe plan quinquennal confirment cette orientation stratégique : la décarbonation n’est plus perçue comme un frein mais comme un moteur de l’innovation et de la croissance économique chinoise.
Les secteurs en transformation
La métallurgie chinoise montre des signes encourageants de décarbonation, avec une réduction de la production d’acier de 8% sur les douze derniers mois. Le secteur du ciment, deuxième plus gros émetteur industriel, a diminué sa production de 22% grâce à des technologies bas carbone.
La transformation touche également le transport urbain. Les villes chinoises ont converti massivement leurs flottes de bus en véhicules électriques, permettant d’économiser 194 000 tonnes de CO2 annuelles rien qu’à Shenzhen.
L’industrie chimique adopte des procédés moins énergivores, tandis que le secteur textile augmente sa part d’énergies renouvelables. Ces mutations sectorielles démontrent que la décarbonation s’ancre progressivement dans le tissu industriel chinois.

Les défis à venir pour maintenir cette tendance
La guerre commerciale avec les États-Unis menace de ralentir la dynamique positive des réductions d’émissions. Les droits de douane punitifs annoncés par Donald Trump pourraient pousser Pékin à soutenir davantage ses industries lourdes émettrices de CO2.
La réorientation de l’économie chinoise vers la consommation intérieure soulève également des questions. « La trajectoire future des émissions de CO2 de la Chine reste incertaine, elle dépendra des tendances dans chaque secteur », prévient Lauri Myllyvirta du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur.
Le ralentissement économique du secteur immobilier, qui a contribué à la baisse récente des émissions, pourrait s’inverser avec les nouvelles mesures de relance. La Chine devra maintenir un rythme soutenu de déploiement des énergies propres pour compenser une potentielle reprise de la construction.
Vers une nouvelle ère climatique mondiale ?
La baisse historique des émissions chinoises marque un tournant majeur dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Cette réduction, combinée aux efforts européens et américains, pourrait accélérer l’atteinte du pic mondial d’émissions de CO2 dès 2025.
Les investissements massifs de la Chine dans les énergies propres ont déjà un effet d’entraînement sur d’autres pays émergents. L’Inde et le Brésil ont annoncé leur intention de suivre le modèle chinois de déploiement accéléré des renouvelables.
« Si la Chine maintient cette trajectoire de décarbonation, nous pourrions voir une accélération mondiale de la transition énergétique bien plus rapide que ce qui était prévu dans l’Accord de Paris », analyse Seung-Ki Min, qui a dirigé l’étude du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur.
Mise à jour de l’article : 4 juin 2025